Jean-Louis
Costes est un artiste incontournable du paysage indépendant français ;
connu de beaucoup mais peu reconnu, il ne cadre avec aucune esthétique
existante et n'est finalement légitime dans aucune scène musicale ni théâtrale.
Son public est un mélange hétéroclite, majoritairement composé d'individus
isolés, de l'anarcho-punk à l'adepte de musique industrielle.
C'est
au milieu des années 70 que Costes commence à jouer du clavier dans un groupe et,
comme tous les apprentis musiciens de cette époque, essentiellement avec des
reprises de rock. Il évolue rapidement vers des choses de plus en plus
bruyantes, et c'est avec le début des possibilités d'enregistrement de home-studio
qu'il produit ses premières maquettes. Immanquablement rejeté par les maisons
de disques, il prend sa revanche, en radicalisant d'abord ses textes dont il
fait un style, une technique, dès sa première cassette en 1985.
Quand
il enregistre, il travaille sans réelle direction mais en centralisant ses
idées autour d’un thème précis, puis se lance et inscrit une pensée brute sur
la bande magnétique, dont il conserve les éléments les plus spontanés.
Musicalement, ses morceaux sont souvent basés sur des mélodies “pop”
simplistes, qu'il déconstruit ensuite et perturbe par un chant braillé. Il
mutile ses compositions, rend le tout volontairement inécoutable, et obtient un
résultat à l'opposé d'une chanson à l'ambiance linéaire et facile.
Costes
a ainsi auto-produit près d'une centaine d'albums (cassettes, vinyles et CD),
et réalise souvent lui-même ses pochettes, faites de collages minimalistes le
mettant crûment en scène dans la thématique développée tout au long de l’opus.
Détailler
de manière traditionnelle ses albums n’aurait objectivement aucun sens tant il a
exploré tous les recoins obscurs de la psyché humaine. Il a enregistré des milliers de titres sur des thèmes
si différents, qu'il est d'emblée en tête du hit-parade du nombre de sujets abordés
dans une chanson. Costes ne dépeint pourtant pas sa propre vision de la
société, mais traite plutôt de la face cachée de l'humanité. Une démarche qui
revêt a posteriori un côté sociologique indéniable ; son œuvre est
progressivement devenue le témoignage d'une époque donnée d'où se dégage une
sorte de philosophie, tout au moins sur la nature des rapports humains.
Là
où d'habitude, risquant de passer pour des cons où des minables, les autres
s'arrêtent d'écrire, Costes, lui, commence. Au début du malaise, de la honte,
de la solitude, de la haine, du dégoût de soi, du rejet de/par la société, de
la scatologie, du sexe, du racisme, de la folie, de l'échec, de la perversité,
de la faiblesse ou de l'amour à mort : ses textes sont un défouloir, une sorte
d'auto-catharsis apaisant aussi. Il ne supporte pourtant pas plus que certains
de ses auditeurs les mots parfois haineux qu'il utilise, mais il a choisi de
faire des vices et des excès de l'espèce humaine une démarche artistique
extrême.
L’auditeur
curieux pourra commencer son aventure dans l’univers de Costes par certains de
ses albums les plus caractéristiques : la parodie extrême du racisme avec Livrez Les Blanches Aux Bicots (1989),
le recueil des chansons d’amour de Sorcières
(1990), l’opus anti-femme de Terminator
Moule (1992) ou bien anti-japonais avec Jap
Jew (1993, CD en anglais avec quelques morceaux chantés en japonais). Son CD le
plus connu est probablement le brûlot anti-rap NTM-FN (1996), et l’album qui développe le plus en détail son
concept anti-race est Raciste Positif
(1998). Nègre Blanc (1999) traite
quant à lui du jazz (il est sorti sur le label français Rectangle qui a également
produit la compilation Hommage à Costes
en 2003), et Nike Ta Race en 2000 est
une collaboration improbable avec rappeurs et chanteurs de raï.
Dans
ses récentes productions on peut noter Fecal
Master (sur le label américain Fecal Matter en 2004) qui traite de la
scatologie, Œuvre Au Noir (sur le
label français Amortout, aussi en 2004) qui propose une parodie féroce et
humoristique de la scène black métal et de ses codes, ou encore Catholique autoproduit par Costes en
2005, explorant la thématique religieuse.
Mais
en glorifiant l'inacceptable, en plaçant souvent ses propos entre l'envie de
rire et l'envie de vomir, Costes a toujours eu des ennemis tenaces ; de
l'extrême droite aux rappeurs, des ligues antifascistes à la gauche bien pensante…
La liberté d'expression n’est souvent acceptée que dans un cadre déterminé, or
Costes est clairement et perpétuellement hors de ce cadre.
Sa
principale censure n'a pourtant jamais été directement celle de l'Etat, mais au
début plutôt celle d'individus ou de structures refusant de le promouvoir ou de
le distribuer. Pourtant, depuis 1997, les choses ont basculé avec internet, et
malgré l'aspect satirique évident de ses textes, plusieurs ont été considérés
comme racistes, et l'ont amené devant les tribunaux. Pourquoi ?
Car,
dans les personnages de ses chansons, Costes illustre souvent le mal, et ce
qu'on lui reproche, c'est de ne pas donner assez de caution morale à ceux-ci, surtout
sur ce médium grand public qu'est internet. Or c'est précisément cet aspect
moral qu'il ne veut absolument pas intégrer dans son œuvre car, pour lui, ce
n'est pas à l'artiste de prendre ce genre de précautions. Le spectateur,
l’auditeur, le lecteur ne doit pas avoir besoin d’une caution pour deviner ce
qui est condamnable et ce qui ne l’est pas : son jugement seul doit lui
permettre de juger et de condamner l’extrémisme, l’horreur, sans besoin d’une
morale supérieure qui lui dicterait son opinion et lui expliquerait que tel ou
tel personnage est « mauvais ». A l'heure actuelle, c'est encore le plus
long procès en cours mettant en cause un artiste français.
Un
autre aspect important du travail de Costes concerne le live, car d'une part il
a fait beaucoup de performances et, surtout, il y théâtralise son univers.
Fortement influencé par les cérémonies religieuses africaines, il intègre cet
aspect vaudou dans ses shows qui n'ont rien de concerts traditionnels. Il
utilise sur scène son corps comme un médium, au service de l'histoire et du
spectacle final, peu importe ce que celui-ci doit subir pour y arriver, et le
spectateur doit en avoir pour son argent.
A
ses débuts, il fait quelques performances seul ; puis en 1988 il rencontre
la chanteuse et performeuse Lisa Carver, alias Lisa Suckdog, et c'est avec elle
que les premiers vrais shows prennent forme : violents, dérangeants et drôles à
la fois. Alors qu'en studio il travaille en solitaire, sur scène il aura dès
lors souvent recours à des complices, hommes et femmes, qu'ils soient eux-mêmes
performeurs ou tout simplement issus du public. Ses spectacles ont été joués
dans toute l'Europe, mais aussi au Japon et aux Etats Unis. Ses shows ne sont
jamais une simple extension d'un album mais toujours un spectacle à part
entière, où l'action est très dynamique ; une forme de théâtre chanté, qui
développe en général un thème de long en large, de ses aspects les plus
triviaux aux plus profonds.
Sous
une apparence chaotique, la représentation est ainsi organisée autour d'un
scénario, dirigé une bande-son en playback qui sert de fil conducteur, sur
laquelle il chante. Adepte du premier degré, Costes ne développe presque pas
l'aspect psychologique de ses personnages et leurs réactions sont instinctives.
La mise en scène y est également primitive et les actes sont instantanés et peu
exprimés par des dialogues, à l’opposé du théâtre traditionnel.
Les
shows de Costes sont pourtant souvent mal interprétés, et les spectateurs les
réduisent aux situations limites qu'ils représentent, c'est à dire le sexe et
la violence. Pourtant Costes n’y cherche pas uniquement la provocation, il veut
aussi montrer la réalité telle qu'elle est. La nudité omniprésente est
agressive, mais nécessaire pour montrer la faiblesse du corps autant que pour
mettre en contraste les costumes, toujours représentatifs des symboles sociaux
aliénants.
Sa
dernière tournée mondiale s'est déroulée en 2003 avec l'opéra porno-social Le Culte De La Vierge, toujours entre
chanson, théâtre, nudité et violence. Et ses derniers shows en solo étaient Je
Suis Mon Propre Bourreau (2005), et J’aime
La Haine, actuellement en tournée, en parallèle à la promotion de son
dernier livre.
Costes
a également réalisé de nombreuses productions vidéos (indépendamment de
celles qui retranscrivent ses shows) et il y développe toujours des scénarios bizarres,
choquants ou plus simplement burlesques. Il conserve pourtant dans ses films
une forme plus classique et ne les déstructure pas comme il déconstruit ses
chansons. Mais, à l'instar de son style de chant, ses personnages y ont souvent
des sentiments exacerbés.
Son
dernier film est Alice Au Pays Des
Portables, une fiction “racaille-romantique” co-réalisée avec l'actrice
Darline Montfort en 2002. Plusieurs de ses réalisations ont par ailleurs été
présentées en 2004 au LUFF, Lausanne Underground Film & music Festival.
Costes
a aussi été acteur dans des films plus traditionnels, toujours pour des rôles
extrêmes, notamment dans Baise Moi de
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Lilith
d'Ovidie, Irréversible de Gaspar Noé
ou encore en 1999 dans le film allemand Jenseits
Den Rosen d’Axel Meese où il a été l'acteur principal. En 2004, il a
également joué le pape Alexander VI Borgia, dans l'opéra moderne Kastanienball de Stefan Winter, au
festival de Munich.
Il
a aussi écrit plusieurs articles et coups d'humeurs (notamment pour la revue Cancer ainsi que pour divers sites internet),
ainsi que deux livres, Viva La Merda
édité chez Hermaphrodite en 2002, et Grand
Père édité chez Fayard au début 2006.
Cet article est initialement paru en 2006 sur le webzine Obsküre, et quelques corrections y ont été apportées en 2016.
La dernière photo, live à Paris en 1991, provient du blog d'archives de Cyril Adam
Les autres images proviennent des archives de Jean-Louis Costes.